Gaia-X se donne un nouveau départ lors de son sommet au Portugal : après une première saison axée sur le développement et l’expérimentation, il est maintenant temps de passer à une nouvelle ère où le partage de données souveraines devient une réalité. Le public cible est-il prêt pour cela ?
Ces dernières années, Gaia-X a développé des composants, des normes et des technologies permettant aux entreprises de partager des données dans des espaces de données dits. Il s’agit d’écosystèmes dans lesquels les entreprises peuvent échanger des données de manière décentralisée et surtout souveraine, conformément aux règles de l’UE et autres. « La technologie est disponible », souligne Ulrich Ahle, PDG de Gaia-X, lors du sommet Gaia-X à Porto, au Portugal.
Entre rêve et réalité…

Catherine Jestin en est également consciente. Elle est non seulement présidente du conseil d’administration de Gaia-X, mais aussi vice-présidente de l’informatique chez Airbus. Jestin montre l’exemple : Airbus travaille aujourd’hui sur un espace de données pour tous ses fournisseurs et ce projet est plus qu’une expérience. Jestin n’est pas la seule : en France, EDF s’emploie activement à ajouter des membres à son propre espace de données pour l’écosystème de milliers d’entreprises qui participent à la construction des nouvelles centrales nucléaires françaises.
À la recherche d’un modèle économique
Seulement, la technologie mature ne conduit pas à une multitude d’espaces de données en production. Au contraire : ces dernières années, plus de 170 projets ont été mis en place en Europe pour des espaces de données destinés à soutenir l’échange de données dans une multitude d’écosystèmes, mais la plupart n’ont toujours pas quitté la phase expérimentale. À peine dix pour cent, soit une quinzaine d’espaces de données, sont aujourd’hui opérationnels en production.
Airbus et EDF sont toutefois des exceptions. « Nous devons rendre les espaces de données opérationnels en preuve de concept », déclare Jestin. « Il doit y avoir un modèle économique derrière qui soutienne financièrement les écosystèmes afin qu’ils soient rentables même sans subventions et qu’ils survivent au fil des ans. »
C’est là que le bât blesse. Même dans les espaces de données expérimentaux existants, l’équilibre entre les parties qui offrent des données et les organisations qui souhaitent utiliser ces données n’est pas toujours optimal. Idéalement, un modèle devrait être mis en place dans lequel les organisations d’un espace de données sont prêtes à verser une compensation à d’autres participants pour l’utilisation de leurs données. De cette manière, un marché économiquement viable devrait être créé.
L’IA européenne comme objectif ?
Le professeur Stefan Wrobel, directeur de l’institut allemand Fraunhofer IAIS, explique lors du sommet ce qui est possible lorsque les secteurs s’unissent dans des espaces de données selon la vision de Gaia-X. « 84 % des entreprises européennes préfèrent utiliser l’IA européenne », affirme-t-il sur la base d’une enquête Bitkom en Allemagne. « L’IA d’aujourd’hui est construite sur des données provenant de l’internet public. Au rythme actuel, nous aurons déjà épuisé l’année prochaine la quasi-totalité des informations accessibles au public générées par l’homme. La construction de l’IA sur la base de l’internet touche ainsi à sa fin. »
La construction de l’IA sur la base de l’internet touche à sa fin.
Stefan Wrobel, directeur de Fraunhofer IAIS,
C’est là que réside l’opportunité pour l’UE et pour Gaia-X. Les espaces de données offrent en effet un environnement décentralisé dans lequel les acteurs du même secteur et les concurrents peuvent offrir des données de manière équitable, sûre et souveraine. « À l’aide de ces données, nous pouvons entraîner et affiner les LLM », déclare Wrobel. « Ainsi, en tant qu’Européens, nous pouvons offrir au monde des modèles d’IA intégrés verticalement. » Il existe également un modèle économique, totalement indépendant des géants technologiques américains.
Saison 2 avec de véritables espaces de données
Avant d’en arriver là, les espaces de données doivent toutefois prendre forme. Jestin lance avec enthousiasme la deuxième saison de Gaia-X et des espaces de données. Au cours de cette deuxième saison, l’histoire doit vraiment prendre de l’ampleur, avec des centaines d’entreprises, grandes et petites, qui rejoignent en Europe (et même au-delà) des espaces de données, qui sortent de la phase de preuve de concept et se lancent dans la production.
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Ce lancement de la deuxième saison est un fil conducteur tout au long de la conférence, qui suscite également un scepticisme sain sur la scène. « En général, il n’y a une deuxième saison que lorsque la première saison a été couronnée de succès », fait remarquer Mauro Brambilla, COO de Dynamo, lors d’une table ronde animée par Christoph Strnadl, CTO de Gaia-X. « C’est le cas ici en ce qui concerne la technologie, mais pas en ce qui concerne son utilisation. »
Les entreprises sont-elles intéressées ?
Lors d’une table ronde sur les données et la stratégie de données, organisée par ITdaily, le fossé entre l’état de la technologie et la volonté de l’utiliser devient encore plus évident. Fen Lasseel, directeur général du spécialiste belge des données et de l’IA Datashift, est au courant du potentiel des espaces de données, mais indique qu’il n’a pas de projets en cours avec des clients. Nous entendons le même son de cloche chez Brecht Vanhee, analyste principal architecte et responsable de la livraison, element61 : « Nous n’avons encore reçu aucune demande d’un client concernant la participation à un espace de données Gaia-X. »
Si je vois à quel point il est encore difficile aujourd’hui de partager des données au sein des entreprises ou entre les institutions locales, l’échange à grande échelle de données sensibles entre les organisations au niveau de l’UE ne semble pas évident à court terme.
Yannic De Bleeckere, responsable des ventes préliminaires, SAS
« Yannic De Bleeckere, responsable des ventes préliminaires chez SAS, s’interroge sur la maturité actuelle des organisations à court terme pour adopter de telles initiatives : « Si je vois à quel point il est encore difficile aujourd’hui de partager des données au sein des entreprises ou entre les institutions locales, l’échange à grande échelle de données sensibles entre les organisations au niveau de l’UE ne semble pas évident à court terme, mais plutôt un défi à plus long terme. »
Prêt à être utilisé par les grands et les petits
Lors du sommet, Ahle, Jestin, Strnadl et de nombreux autres orateurs tentent de convaincre le monde que les espaces de données conformes aux normes de Gaia-X sont bel et bien prêts à être utilisés. « Il y a une forte demande de souveraineté », explique Ahle. « Pas seulement auprès des grandes entreprises, mais aussi auprès des PME et des start-ups. L’ensemble du secteur sait que les données sont importantes pour leur activité. »

Les PME ne sont donc pas oubliées. « Les espaces de données ont toujours besoin d’outils adaptés », précise Strnadl. « Et les PME utilisent ces outils d’une manière totalement différente. » Roland Fadrany, COO de Gaia-X, ajoute : « L’adoption de normes élevées doit être aussi bon marché que possible pour les PME, et Gaia-X y veille également, grâce à l’automatisation. »
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Viennent ensuite les certifications. Lors du sommet, Gaia-X décerne les premiers certificats dits de niveau 3 aux organisations qui atteignent le plus haut niveau de souveraineté. Avec ce label, Gaia-X espère créer un marché pour les services numériques européens adaptés aux espaces de données les plus exigeants, tels que ceux d’Airbus et d’EDF.
Argumentaire présenté, mais est-ce suffisant ?
Après une journée et demie passée au centre de congrès Alfandega, sur les rives du Douro, probablement pas par hasard avec vue sur Vila Nova de Gaia à travers les grandes fenêtres, les experts de Gaia-X et les invités ont plaidé leur cause. D’un point de vue technique, les espaces de données sont plus que prêts. Sur le plan pratique, il est temps de commencer. Le fait qu’EDF et Airbus se lancent avec conviction est un signal clair. L’accent mis sur les PME est également fort : le fait qu’elles puissent (doivent) également se connecter facilement à un espace de données Gaia-X revient souvent sur les lèvres.
La deuxième saison de Gaia-X attirera-t-elle alors plus de spectateurs ? Ou les espaces de données souveraines resteront-ils, l’année prochaine encore, un projet pour les passionnés et les connaisseurs, que le grand public ne peut pas atteindre ? L’intérêt pour le projet du Canada, du Japon et de la Corée du Sud montre en tout cas qu’une réussite internationale est possible. Le partage de données décentralisé et souverain est attrayant, même dans d’autres juridictions que l’UE.
Ahle ne saurait trop insister sur le fait que Gaia-X est prêt. Une autre question, tout aussi pressante, reste sans réponse : les entreprises européennes sont-elles également prêtes pour Gaia-X ?
